cinq livres

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mercredi 18 février 2015

fable pour adulte # 3 - Les mots d'un père (page 4)


Le fils reprit sa tâche tout en reniflant sans gêne. Quelques boîtes s'ajoutèrent aux premières. Il vida la garde-robe, dernier espace à délivrer de ses effets, un peu à la va-vite, entassant dans ses cartons les vêtements de son père, encore empreint de son odeur.

Comme tout était maintenant fait, il recula de quelques pas et il tourna sur lui-même pour s'assurer qu'il n'avait rien oublier. Le fils cru alors voir quelque chose sur la plus haute tablette de la garde-robe. Il s'approcha, se hissa sur la pointe des pieds et il réussit, centimètre par centimètre, à faire glisser vers le bord une petite boîte.

Le fils reprit place au pied du lit, déposant la petite boîte sur ses genoux, se demandant ce qu'il allait y découvrir. Il posa ses mains sur le couvercle, laissa glisser sur les rebords et souleva le couvercle. À l'intérieur de la boîte se trouvait des enveloppes. Sur chacune était écrit un nom. Le fils les fit défiler une à une jusqu'à découvrir, tout au fond de la boîte, celle qui lui était adressée. En tremblant légèrement, il l'ouvrit, en déplia le feuillet qui contenait un message tout particulier.

Dès les premiers mots, ses mains se mirent à trembler et le fils dû prendre à deux mains les feuilles pour pouvoir lire. Il continua cependant, phrase après phrase, se sentant vraiment très ému. Les mots de son père le bouleversait. Il y découvrait quelque chose qu'il n'avait jamais soupçonné et qui allait bien au-delà de ce qu'il avait découvert un peu plus tôt.

Il tourna lentement les pages, lisant avec attention, sachant aussi qu'il retournerait à de nombreuses fois vers ces mots-là, qu'il les ferait sien pour le reste de sa vie. La mission que son père s'était donné deviendrait la sienne, une voix en lui confirmait que son chemin se trouvait là. Après avoir lu les derniers mots, il redressa la tête.

***

À ce moment-là, on cogna à la porte. Le fils se tourna pour découvrir la directrice de la résidence qui lui souriait timidement.

-Ça va? lui demanda-t-elle en faisant quelques pas dans la pièce.

Le fils l'invita à s'asseoir d'un geste de la main et la dame prit place à son côté. Prenant une grande respiration, le fils décida de s'ouvrir à elle.

-Je viens de découvrir que mon père n'était peut-être pas l'homme que je croyais qu'il était.

La dame hocha de la tête, prenant un moment avant de répondre au fils, voulant certainement trouver les mots justes.

-Sûrement en est-il ainsi pour la plupart des gens que nous côtoyons. Ce que nous voyons de la personne qui se trouve devant nous n'est qu'une infime partie de qui elle est. En fait, ce que l'on perçoit n'est que ce qu'elle veut bien dévoiler, ou que ce qu'elle arrive, parfois maladroitement, à mettre en avant-plan.

Le fils trouva que cela avait bien du sens car lui-même se livrait peu, même aux gens de son entourage. Délibérément, il ne savait pas trop pourquoi, il gardait pour lui la plupart de ses réelles pensées ou sentiments mais aussi la très grande majorité de ses convictions ou de ses rêves.

-Ce que nous sommes de l'intérieur est rarement ce que les gens arrivent à percevoir de l'extérieur, ajouta la sage directrice.

Le sourire du fils, adressé à la directrice, encouragea certainement celle-ci à continuer.

-Nous avons, pour la plupart d'entre nous, un certaine pudeur à lever le voile sur ce qui se passe réellement en soi. Et malheureusement, il s'agit aussi parfois d'une mauvaise interprétation de celui qui regarde. Se comprendre mutuellement est une tâche délicate et complexe.

Après un bref regard au feuillet qu'il venait de lire, le fils ajouta:

-Si j'avais su...

-C'est que nous devons apprendre à voir avec le coeur, à savoir écouter les silences, à bien interpréter les mots, à bien saisir les gestes, et cela, avec le plus d'amour possible. Et je crois que ces dernières années, votre père avait compris cela et même qu'il s'est alors appliqué à y travailler avec énergie.

-Si j'avais su... répéta le fils, plongeant son regard dans les mots de son père.

-Maintenant vous savez, ajouta la dame.

Ces mots le troublèrent.

Le fils montra la boîte à la directrice. Les noms inscrits sur les enveloppes étaient ceux de différentes personnes habitant la résidence ou du personnel y travaillait. Elle promit de les remettre en main propre aux gens concernés.

-Et puis, dit-elle en agitant une enveloppe, il y en a une pour moi!

La directrice, après une brève accolade faite à l'endeuillé, s'en retourna à ses occupations tandis que le fils finit de bien fermer les boîtes qu'il transporta ensuite jusque dans sa voiture. Alors qu'il s'apprêtait à refermer pour une dernière fois la porte de la chambre où son père avait passé les dernières années de sa vie, il fut convaincu qu'il devait faire quelque chose de ce qu'il venait de découvrir. Les derniers mots de la directrice refirent surface dans son esprit: 'Maintenant vous savez.'

Et le fils se dit que quand on sait, on se doit ensuite d'agir.

***


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