Le
fils reprit sa tâche tout en reniflant sans gêne.
Quelques boîtes s'ajoutèrent aux premières. Il
vida la garde-robe, dernier espace à délivrer de ses
effets, un peu à la va-vite, entassant dans ses cartons les
vêtements de son père, encore empreint de son odeur.
Comme
tout était maintenant fait, il recula de quelques pas et il
tourna sur lui-même pour s'assurer qu'il n'avait rien oublier.
Le fils cru alors voir quelque chose sur la plus haute tablette de la
garde-robe. Il s'approcha, se hissa sur la pointe des pieds et il
réussit, centimètre par centimètre, à
faire glisser vers le bord une petite boîte.
Le
fils reprit place au pied du lit, déposant la petite boîte
sur ses genoux, se demandant ce qu'il allait y découvrir. Il
posa ses mains sur le couvercle, laissa glisser sur les rebords et
souleva le couvercle. À l'intérieur de la boîte
se trouvait des enveloppes. Sur chacune était écrit un
nom. Le fils les fit défiler une à une jusqu'à
découvrir, tout au fond de la boîte, celle qui lui était
adressée. En tremblant légèrement, il l'ouvrit,
en déplia le feuillet qui contenait un message tout particulier.
Dès
les premiers mots, ses mains se mirent à trembler et le fils
dû prendre à deux mains les feuilles pour pouvoir lire. Il
continua cependant, phrase après phrase, se sentant vraiment
très ému. Les mots de son père le bouleversait.
Il y découvrait quelque chose qu'il n'avait jamais soupçonné
et qui allait bien au-delà de ce qu'il avait découvert
un peu plus tôt.
Il
tourna lentement les pages, lisant avec attention, sachant aussi
qu'il retournerait à de nombreuses fois vers ces mots-là,
qu'il les ferait sien pour le reste de sa vie. La mission que son
père s'était donné deviendrait la sienne, une
voix en lui confirmait que son chemin se trouvait là. Après
avoir lu les derniers mots, il redressa la tête.
***
À
ce moment-là, on cogna à la porte. Le fils se tourna
pour découvrir la directrice de la résidence qui lui
souriait timidement.
-Ça
va? lui demanda-t-elle en faisant quelques pas dans la pièce.
Le
fils l'invita à s'asseoir d'un geste de la main et la dame
prit place à son côté. Prenant une grande
respiration, le fils décida de s'ouvrir à elle.
-Je
viens de découvrir que mon père n'était
peut-être pas l'homme que je croyais qu'il était.
La
dame hocha de la tête, prenant un moment avant de répondre
au fils, voulant certainement trouver les mots justes.
-Sûrement
en est-il ainsi pour la plupart des gens que nous côtoyons. Ce
que nous voyons de la personne qui se trouve devant nous n'est qu'une
infime partie de qui elle est. En fait, ce que l'on perçoit
n'est que ce qu'elle veut bien dévoiler, ou que ce qu'elle
arrive, parfois maladroitement, à mettre en avant-plan.
Le
fils trouva que cela avait bien du sens car lui-même se livrait
peu, même aux gens de son entourage. Délibérément,
il ne savait pas trop pourquoi, il gardait pour lui la plupart de ses
réelles pensées ou sentiments mais aussi la très
grande majorité de ses convictions ou de ses rêves.
-Ce
que nous sommes de l'intérieur est rarement ce que les gens
arrivent à percevoir de l'extérieur, ajouta la sage
directrice.
Le
sourire du fils, adressé à la directrice, encouragea
certainement celle-ci à continuer.
-Nous
avons, pour la plupart d'entre nous, un certaine pudeur à
lever le voile sur ce qui se passe réellement en soi. Et
malheureusement, il s'agit aussi parfois d'une mauvaise
interprétation de celui qui regarde. Se comprendre
mutuellement est une tâche délicate et complexe.
Après
un bref regard au feuillet qu'il venait de lire, le fils ajouta:
-Si
j'avais su...
-C'est
que nous devons apprendre à voir avec le coeur, à
savoir écouter les silences, à bien interpréter
les mots, à bien saisir les gestes, et cela, avec le plus
d'amour possible. Et je crois que ces dernières années,
votre père avait compris cela et même qu'il s'est alors
appliqué à y travailler avec énergie.
-Si
j'avais su... répéta le fils, plongeant son regard dans
les mots de son père.
-Maintenant
vous savez, ajouta la dame.
Ces
mots le troublèrent.
Le
fils montra la boîte à la directrice. Les noms inscrits
sur les enveloppes étaient ceux de différentes
personnes habitant la résidence ou du personnel y travaillait.
Elle promit de les remettre en main propre aux gens concernés.
-Et
puis, dit-elle en agitant une enveloppe, il y en a une pour moi!
La
directrice, après une brève accolade faite à
l'endeuillé, s'en retourna à ses occupations tandis que
le fils finit de bien fermer les boîtes qu'il transporta
ensuite jusque dans sa voiture. Alors qu'il s'apprêtait à
refermer pour une dernière fois la porte de la chambre où
son père avait passé les dernières années
de sa vie, il fut convaincu qu'il devait faire quelque chose de ce
qu'il venait de découvrir. Les derniers mots de la directrice
refirent surface dans son esprit: 'Maintenant vous savez.'
Et
le fils se dit que quand on sait, on se doit ensuite d'agir.
***
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