cinq livres

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dimanche 30 décembre 2018

Durant ces 365 derniers jours


Durant ces 365 derniers jours…

Durant ces 365 derniers jours… De trop nombreuses fois je me suis sentie au bout de mon rouleau, épuisée, sans ressource, sans trop d’espoir. Il y eut des jours où ce qui survenait dans ma vie m’anéantissait, me blessait profondément, m’enlevait ma joie de vivre, des jours où le moindre incident me semblait insurmontable, des jours où plus rien ne m’intéressait. Il y eut des moments où j’en ai eu plus qu’assez de devoir me retrousser les manches encore une fois, de devoir recommencer ou de ne pas obtenir les résultats attendus, des moments où m’enliser était la seule solution, où renoncer la seule option. Il y eut des matins où le simple fait de devoir affronter un autre vingt-quatre heures m’ont donné la nausée.

Durant ces 365 derniers jours… De trop nombreuses fois je me suis sentie trahie, non-respectée, anéantie, incomprise, seule. Il y eut des jours où j’ai encaissé sans trop broncher des injustices ou des mensonges, des jours où j’ai côtoyé la douleur de trop près sans pouvoir m’en libérer, des jours où je me suis cachée pour panser mes plaies. Il y eut des moments où j’ai accepté de me taire, de plier, de me renier pour ne pas déranger, des moments où mon regard était distant, mes mains tremblantes et mon cœur affolé. Il y eut des matins où le simple fait de devoir affronter un autre vingt-quatre heures m’a fait pleurer.

Durant ces 365 derniers jours, j’ai parfois abandonné, j’ai parfois trébuché, je me suis parfois trompée… et la liste est encore longue. Durant ces 365 derniers jours, tant de choses sont arrivées et m’ont bouleversées. Durant ces 365 derniers jours, il y eut des hauts, mais aussi des bas.

Et durant ces 365 derniers jours, j’ai parfois oublié, dans mes moments de panique et de détresse, que le courage et l’espoir ne meurt jamais.

Parce qu’au-delà de la frayeur des premiers moments, durant ces 365 derniers jours, je me suis remise sur pieds à de nombreuses occasions, j’ai repris le flambeau, je me suis relevée et j’ai choisi de m’obstiner un peu plus.

Je m’étonne moi-même de ce courage, de cette force qui ont jailli pour me sauver in extremis alors que je me tenais sur le bord du précipice. Je suis ébahie de constater que j’ai su, malgré l’épuisement, malgré l’anéantissement, malgré la torpeur reprendre mes sens, changer de direction, continuer, persévérer et dépasser ce que je qualifiais d’horrible. Je suis agréablement surprise d’avoir pu voir au-delà de ce qui était, d’avoir pu en comprendre et en apprendre certaines choses, d’en avoir retiré même des bénéfices, d’éprouver maintenant une certaine gratitude quant à tout cela. Je suis émerveillée de constater que cela a changé mes perceptions, mes priorités, mes destinations et que cela a bonifié ma personne.

Je suis émue de pouvoir dire qu’après des moments difficiles, j’ai su me relever, me reconstruire et aller de l’avant. Je me réjouis d’avoir pu remplacer la colère par la compassion, les cris par la tolérance, l’affolement par la réflexion et la rancœur par la paix. Je suis reconnaissante envers moi-même d’avoir tenu bon, d’avoir cru que d’ici quelques tournants, tout irait mieux.

Je suis fière d’avoir traversé des tempêtes mais d’être quand même arrivée à bon port.

Durant ces 365 derniers jours, j’ai choisi, même si c’était difficile, d’être une survivante, une guerrière, une triomphante.

Et en ces derniers jours de l’année, j’ai bien sûr envie de célébrer mes victoires, mes accomplissements, mes dépassements. Mais j’ai surtout envie de lever mon verre bien haut à mes échecs, à mes déceptions, à ce qui m’a effrayé, à ce qui m’a démoli, à tout ce qui m’a semblé aller de travers.

Parce que tout cela m’a largement instruite, m’a grandie et m’a amené plus près de moi. Parce que tout cela, bien que cela soit bizarre à dire, m’a rendu service.

Merci 2018. Merci pour tout.

dimanche 16 décembre 2018

Le 'méchant gant' partie 4/4


Alors le 24 décembre au soir arriva. Tous les habitants sortirent de chez eux pour se retrouver sur la place publique du village. Ils entourèrent le grand sapin qui y avait été installé dans l’après-midi et dans lequel des milliers de lumières avaient été placées. Depuis la tombée du jour, il scintillait de mille feux et comme chaque année, c’était l’émerveillement pour tous.

La tradition voulait qu’en début de soirée, comme en ce moment-là très exactement, chacun sorte de chez lui et vienne ajouter une décoration à l’arbre. Un peu après dix-huit heures, ils se retrouvèrent donc nombreux autour du sapin. Le père de Napoléon s’inquiéta cependant quand il chercha son fils et ne le vit nulle part. La mère de Nathan interrogea sa mère, qui se trouvait à quelques pas d’elle, lui demandant si elle avait vu son fils. En fait, les enfants manquaient à l’appel. Mais avant que la panique ne gagne les habitants du village, on entendit des voix venir de plus loin.

-Excusez-moi… excusez-moi, disait Napoléon en tentant de franchir avec tous ses amis, la foule pressée tout autour de l’arbre illuminé.

Peu à peu les adultes ouvrirent un chemin pour permettre à leurs rejetons de gagner le centre de la place. Et tous remarquèrent un vieil homme que tenait par la main notre valeureux Napoléon. Dans sa main libre, l’inconnu tenait une boule faite de lierre savamment tressé. Le silence régnait sur la place et tout le monde se questionna sur l’identité de cet invité surprise parce que bien sûr, personne ne put s’imaginer que le ‘méchant géant’ soit si menu et pas du tout effroyable.

-Je vous présente mon ami, dit Napoléon en se tournant vers le vieil homme. Vous le nommez le ‘méchant géant’ mais aujourd’hui je peux vous dire que son véritable nom est Augustin.

Alors on entendit de OH! et des AH! de surprise mais personne n’osa ajouter quoi que ce soit. Napoléon, d’un geste, encouragea son ami à suspendre sa décoration à l’arbre. Puis des plus âgés aux plus jeunes, tout le monde s’exécuta, essayant de trouver une place de choix pour sa décoration.

Et c’est ce jour-là que les affreuses histoires sur le ‘méchant géant’ cessèrent. Comme ça ! Comme par magie… ou presque.
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Alors si un jour vous passez par ce petit village, vous remarquerez que les villageois n’aiment pas parler de tout ça. Ils ne comprennent pas comment tout cela a commencé, comment tout cela a pu se perpétuer au fil des ans, comment ils ont pu dire des choses si horribles sur un homme pourtant si gentil. Mais cela est du passé. Le vieil homme est maintenant toujours bien accueilli au village. Et les villageois sont toujours les bienvenues dans la montagne ou même chez le vieil homme.  Même s’ils ne peuvent pas encore l’avouer ouvertement, les adultes de ce village savent qu’ils se sont accrochés bien involontairement à une idée fausse et que cela a causé certains torts.

Napoléon, satisfait de son entreprise, est certain qu’ils en ont retenu quelque chose d’important.
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Un jour, plusieurs années plus tard, alors que le vieil homme et Napoléon prenaient place sur un banc installé récemment à l’orée de la forêt, celui-ci revint sur cette veille de Noël toute spéciale où Napoléon avait accompli l’impossible.

-Ceci est un miracle, dit-il en regardant, admiratif, tout autour de lui. Par ce que tu as accompli, ma vie s’en est trouvée transformée. Comment as-tu fait Napoléon?

Fier et heureux, sachant que dans tout cela il avait découvert une vérité qui lui servirait toute sa vie il dit :

- Il faut, au départ, être attentif et vigilent quant à ce que nous acceptons de croire, Augustin.

-C’est certain, mais… commença le vieil homme sans pour autant oser poursuivre, sachant qu’aucun des arguments qu’il soulèverait ne viendrait à convaincre son jeune ami.

-J’ai compris, continua le jeune garçon d’un ton un peu plus sérieux, que les idées faussent qu’on entretient se répandent, se propagent et contaminent tout. Elles creusent des fossés, construisent des murs, nous isolent et nous emprisonnent. Elles nous aveugles.  Elles nous rendent amers, apeurés et impitoyables.

Un peu triste, le vieil homme du admettre que Napoléon avait raison.

-Sous ce qui est faux, se cache une vérité qu’il faut déterrer et découvrir et il faut être prêt à y mettre les efforts nécessaires pour y arriver.

-Et pour chacun de nous, c’est quelque chose de plutôt difficile, admit Augustin qui, lui-même, avait entretenu des opinions pas très gentilles à propos des villageois.

-Modifier ou remplacer des idées nocives, des opinions rigides, de vieilles convictions, des croyances désuètes ou d’effrayantes rumeurs est un travail de longue haleine et difficile… mais possible. C’est en cela qu’il faut croire.

Napoléon sourit et fit un clin d’oeil à son ami.
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samedi 15 décembre 2018

Le 'méchant géant' partie 3/4

Napoléon tint, quelques jours plus tard, dans la cour de l’école un caucus avec ses amis les plus loyaux et il leur raconta l’histoire (la vraie) du ‘méchant géant’ et leur expliqua en détail ce qu’il voulait faire avec leur aide. Alors voilà que chaque ami de Napoléon se vit décerné une mission.

Un jour ce fut Nathan qui revint du parc en disant que le ‘méchant géant’ lui avait relancé son ballon qui s’était retrouvé dans les hautes herbes. Un autre jour, ce fut Madeleine qui dit avoir vu le ‘méchant géant’ en train de ramasser les vêtements sur la corde à linge derrière la maison. Quelques jours plus tard, ce fut Élisabeth que le ‘méchant géant’ aida à cueillir les pommes qui étaient trop hautes pour elle dans le pommier dans le champ derrière l’école. Et ainsi de suite. À tous les deux ou trois jours, les enfants ajoutaient un nouvel épisode à leurs rencontres avec le ‘méchant géant’.

Les adultes semblaient porter une oreille distraite à toutes ses histoires… mais ils écoutaient. Et bien qu’ils y voyaient là un débordement d’imagination de leur progéniture, cela mit le doute en eux. Cela forma… une fissure en ce qu’ils croyaient si fortement si peu de temps auparavant. Personne ne pouvait encore s’en douter, mais quand il y a fissure… il se crée une ouverture par laquelle… peut germer le changement! Et voilà que leurs regards portés vers la montagne étaient maintenant remplis de questions… qui demeuraient cependant sans réponse.
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Puis décembre arriva. Napoléon, passant, à l’étape suivante de son plan, déposa une boîte à l’entrée de la forêt avec une affiche où était écrit : pour le ‘méchant géant’. Tous les enfants du village firent la file pour aller installer le tout en grande cérémonie. Bien que certains adultes ne voyaient pas cela sous un très bon œil, ils n’osèrent pas s’y opposer puisque les enfants restaient aux limites du village et que cela ne causait aucun tort. Mais même s’ils ne disaient rien, les adultes observaient du coin de l’œil ou caché derrière un rideau.

Chaque jour on voyait un enfant ou deux prendre le petit sentier et déposer quelques objets dans la boîte. Parfois un fruit ou un biscuit. Parfois un toutou ou une couverture. Et une multitude d’autres choses. Et le matin venu tout avait disparu. Quotidiennement, certains adultes allaient vérifier dans la boîte et en revenaient en se grattant la tête.

C’était, vous vous en doutez certainement, Napoléon, qui, la nuit venue, prenait avec précaution la route de la montagne, les bras chargés de cadeaux pour son ami.

Et puis les choses prirent un tournant étonnant. On vit apparaître dans la boîte destinée au ‘méchant géant’ un chaudron rempli de ragoût, un livre, des pantoufles tricotées à la main, des mouchoirs aux tissus colorés… et tout plein d’autres choses. Et Napoléon, confiant en son plan, garda espoir.
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Malgré tout ce que lui racontait Napoléon, le ‘méchant géant’ refusait de descendre au village pour rencontrer les villageois. Le jeune garçon n’insista point. Il passa tout simplement à la prochaine étape de son projet.
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Un matin, on trouva, sur la grande place du village, un grand carton sur lequel était écrit : Merci pour l’oreiller et la couverture. Un autre matin, Madame Boratin retrouva sur le seuil de sa porte son chaudron tout propre. En soulevant le couvercle elle y trouva une feuille sur laquelle on avait dessiné un cœur. La mère de Napoléon trouva dans sa boîte aux lettres la recette de la soupe du ‘méchant géant’ que ne cessait de lui réclamer son fils. Jeanne trouva un petit mot glissé sous sa porte qui disait : Vos pantoufles me vont parfaitement. (Même si en fait elles étaient beaucoup trop grandes pour un géant qui n’était pas géant du tout) Et ainsi de suite.

Chaque jour il y avait un petit quelque chose offert dans la boîte du géant et chaque matin il y avait ici et là un mot, un cadeau de la part du ‘méchant géant’.

Et quelque chose de plus surprenant survint alors. Toute la peur, toute la suspicion qu’avait fait naître puis entretenu toutes ces fausses histoires sur l’homme de la montagne se mirent à fondre malgré le froid hivernal. Certains adultes se mirent à douter, se disant qu’après tout, ils n’avaient que répété ce qu’ils avaient entendus. Certains autres furent touchés par les attentions du géant qui n’avait vraiment pas l’air méchant. Certains autres se dirent que malgré tout, même un ‘méchant géant’ devait s’ennuyer tout seul dans la forêt. Et certains, et même plusieurs pour ne pas dire la majorité, finirent par se dire que peut-être… peut-être que toutes ces histoires étaient fausses !

Les regards de crainte vers la montagne se transformèrent peu à peu. On put y percevoir de la curiosité, du repenti, et l’envie… et oui… l’envie d’aller à la rencontre du mé…  enfin… de cette personne qui vivait depuis si longtemps, isolé de tout et de tous. Mais ce n’était qu’une envie et personne ne s’y aventura ou n’osa être le premier à y aller.

Alors Napoléon ajouta une nouvelle étape à son plan et en parla à son ami. Le vieil homme, pour une fois, comme Noël approchait, accepta de suivre toutes les directives de son meilleur ami sans rouspéter. Et puis, parce que sûrement, en lui aussi, les choses changeaient.
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vendredi 14 décembre 2018

Le 'méchant géant' partie 2/4


Ainsi passèrent les vacances d’été de Napoléon. À ses parents il disait aller ici et là, s’être endormi au parc, avoir joué au soccer avec untel, avoir fait tout un tas de choses de son été alors qu’en fait il rendait visite, jour après jour, à l’homme de la montagne qu’il ne voulait plus nommer le ‘méchant géant’. Celui-ci, à mesure que leur amitié grandissait, lui raconta ce qui était survenu dans sa vie pour qu’il se retrouve ainsi isolé de tous et même, mis de côté.

-Maintenant… les gens d’en bas ont leur idée et rien ne pourra leur en faire changer!
-C’est bien triste en tout cas, murmura Napoléon. Je pourrais leur dire à tous que tu es gentil et les choses s’arrangeront!

La candeur du garçon touchait le vieil homme qui savait que quand quelque chose était si fortement enraciné dans l’esprit des gens il était bien ardu de l’en déloger.

-C’est peine perdue, répétait le vieil homme à chaque argument avancé par le jeune garçon.

Napoléon fronça alors les sourcils ne voulant nullement faire un X sur son projet de ramener le vieil homme au village. Dans son carnet secret il faisait maintenant de moins en moins de dessin mais il y mettait ses idées. En fait, il y élaborait un plan.
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Quand l’école reprit avec la venue de septembre, il ne put rendre visite à son ami aussi souvent et il se dit que le moment était venu de passer à l’action. Par un samedi matin, il prit le chemin de la montagne, passa quelques heures avec son ami puis, vers le milieu de l’après-midi il prit le chemin du retour. Or, avant de sortir de la forêt, il prit le temps de se salir le visage et les vêtements, de déchirer son pantalon au genou, de s’écorcher le coude avec une branche (aïe) et de se mettre quelques brindilles dans les cheveux. En boîtant, il rentra chez lui. Ses parents, affolés, vinrent à sa rencontre et lui demandèrent ce qui s’était passé.

-Je… je suis allé dans la montagne…
-Et le ‘méchant géant’ t’a attrapé? demanda sa mère en joignant les mains sur sa poitrine.
-Non… je suis monté sur un haut rocher…
-Et là le ‘méchant géant’ a voulu t’attraper? dit son père en levant un doigt menaçant.
-Non… continua Napoléon qui commençait à s’impatienter. J’ai perdu pied et je suis tombé.
-Et là le ‘méchant géant’ a voulu te manger ? demanda sa tante Sophie qui était en visite pour l’après-midi.
-NON! Hurla le petit garçon. Je suis tombé tout seul et personne n’a voulu m’attraper ni me manger. Mais…
-Mais… dirent tous les adultes qui s’étaient rassemblés autour de lui, en se penchant légèrement vers lui pour mieux entendre ce qu’il avait à leur dire…
-Le ‘méchant géant’ m’a aidé à me relever, il m’a amené chez lui et m’a servi un bol de soupe, il m’a donné un mouchoir et ce bâton pour m’aider à marcher et m’a raccompagné sur le sentier de la forêt.
-Non… dit sa mère en secouant la tête. Ce ne pouvait pas être lui.
-Si si maman. Quand je lui ai demandé son nom il m’a dit qu’il était le ‘méchant géant’.

Mais avant qu’il ait pu en dire plus, ses parents l’avait entraîné à l’intérieur de la maison pour l’examiner sous toutes ses coutures, le mettre dans le bain et lui trouver des vêtements propres. Et le sujet ne fut plus abordé. En fait oui. Son père, avec son ton le plus ferme et son regard le plus sévère lui dit :

-Tu ne dois absolument pas aller dans la montagne.

Napoléon ouvrit la bouche pour protester mais son père a aussitôt clos la discussion d’un terrible ‘Jamais tu m’entends !!!’
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Vous vous doutez certainement qu’après cet incident, les parents du garçon le surveillèrent étroitement. Plus question de sortir en douce et de s’aventurer dans la montagne. Ni de parler du ‘méchant géant’. Ne leur avait-on pas dit depuis des décennies qu’il fallait craindre celui qui vit dans la montagne?

Bien que déçu, le jeune garçon ne renonçait pas à son projet. Ce qui est ancré profondément dans l’esprit des hommes ne s’y décroche pas si aisément! Le vieil homme l’en avait bien averti. Alors Napoléon profitait de ses soirées passées dans sa chambre à étoffer son plan, à en décrire de nombreuses étapes et une multitude de finalités.
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jeudi 13 décembre 2018

Le 'méchant géant' Partie 1/4


Le méchant géant


Dans une montagne qui se trouvait près d’un petit village isolé, vivait un ‘méchant géant’. En fait, c’était ce que la rumeur disait. C’était ce que les plus âgés répétaient aux plus jeunes depuis de nombreuses années. C’était surtout, avouons-le, un moyen facile, pour tout adulte, d’apeurer et de menacer les tout-petits et moins petits du village.

Qu’y avait-il de vrai parmi toutes ces histoires farfelues et effrayantes? Personne ne le savait vraiment mais personne n’aurait osé affirmer que tout cela était faux. Cela était dit et répété et devait donc, incontestablement être vrai, n’est-ce pas? Et puis… comme tout cela leur était utile en quelque sorte, aucun adulte sensé n’aurait osé soulever la question!

Alors les histoires à propos du ‘méchant géant’ se multipliaient au fil des ans. Certaines d’entre elles disaient que de ses crocs acérés, il pouvait dévorer un bras ou une jambe en une seule bouchée. Certaines racontaient, bien sûr, qu’il capturait puis enchaînait les enfants qu’il rencontrait sur sa route. Et je vous épargne tous les autres attributs dont on le dotait parce que la liste en serait tout simplement beaucoup trop longue. Une seule chose demeurait constante dans chaque histoire : Il valait certainement mieux ne pas rencontrer cet horrible ‘méchant géant’.
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Napoléon, âgé de 11 ans, avait été bercé par ces histoires depuis sa tendre enfance. Plusieurs fois il avait osé poser quelques questions mais ses parents, grands-parents ou voisins, d’un simple regard ou d’un croisement de bras sur la poitrine l’avaient invité à se taire. Pourtant… Comme il n’avait jamais vu de ses propres yeux le ‘méchant géant’ les questions subsistait en lui et il se disait, maintenant qu’il était un peu plus vieux, que les adultes beurraient peut-être un peu épais, juste pour les tenir sous leur joug. Mais bien sûr, d’un côté comme de l’autre il n’avait aucune preuve.
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Comme tous les matins depuis le début des vacances d’été, Napoléon s’installa dans le jardin de ses parents et il regarda longuement la montagne qui se dressait devant lui.

Et si… et si j’y allais… juste pour voir… se dit-il pour au moins la millième fois.

Et ce matin-là, son goût pour l’aventure ou sa curiosité ou son désir de trouver une réponse à ses questions l’invitèrent à mettre quelques trucs à grignoter dans son sac et à prendre le chemin à peine tracé dans les herbes hautes pour aller dans la montagne.
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Napoléon erra ici et là, observant un oiseau qui picorait une graine, faisant la course avec un écureuil, cueillant quelques framboises. Au bout d’un moment, le jeune garçon s’installa sur un haut rocher et sorti de son sac son crayon et son carnet et se mit à griffonner dedans, ce qui retint son attention un long moment. Quand enfin il releva le regard il vit au pied de son rocher un vieil homme qui s’y tenait et qui semblait attendre.

-Bonjour, dit Napoléon.
-Bonjour, répondit le vieil homme.
-Qui êtes-vous? demanda le jeune garçon bien naïvement.
-Je suis… le méchant géant.

Napoléon rit car la personne qui se tenait devant lui n’avait rien de ce que lui avait décrit tous les adultes du village.

-Où sont tes crocs acérés? demanda-t-il moqueur.
-Je n’en ai pas.

Et le vieil homme ouvrit grand la bouche pour lui montrer ses dents.

-Où se trouve la cage dans laquelle tu enfermes les enfants?
-Je n’en ai pas, dit le vieil homme avec un léger sourire en ouvrant tout grand les bras et en regardant tout autour de lui.
-Où est le chaudron dans lequel tu peux faire cuire un mouton en entier?
-Je n’en ai pas, répondit-il en haussant les épaules.
-Alors tu ne peux pas être le ‘méchant géant’, conclut le jeune garçon pour qui ce fait était une évidence.
-Pourtant je le suis. Au fil des ans, au fil des ragots et de l’imagination de chacun, voilà ce que je suis devenu aux yeux des villageois. Tu sais, reprit-il un peu tristement, je me faufile parfois au village, me faisant passer pour un inconnu de passage et j’écoute alors ce que l’on dit de moi. Ce que j’y entends ne m’incite pas à y remettre les pieds et encore moins à dire qui je suis et où je vis. Au fil des ans, je me suis fait à mon sort.
-Mais je ne comprends pas, s’obstina Napoléon. Et vous n’êtes même pas si grand que ça!

Et là le vieil homme a ri. Très fort et très longtemps. À s’en tenir le ventre, à s’en plier en deux et même à en pleurer.

-Ouf, dit-il quand il put reprendre son souffle. Ça faisait longtemps.

Le ‘méchant géant’ qui était en fait, ni géant ni méchant vint rejoindre Napoléon sur son rocher et lui avoua que ce lieu était son endroit préféré de la forêt. Napoléon sorti de son sac ce qu’il avait apporté à manger et il partagea avec son nouvel ami.
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