Le méchant géant
Dans
une montagne qui se trouvait près d’un petit village isolé, vivait un ‘méchant
géant’. En fait, c’était ce que la rumeur disait. C’était ce que les plus âgés
répétaient aux plus jeunes depuis de nombreuses années. C’était surtout,
avouons-le, un moyen facile, pour tout adulte, d’apeurer et de menacer les
tout-petits et moins petits du village.
Qu’y
avait-il de vrai parmi toutes ces histoires farfelues et effrayantes? Personne
ne le savait vraiment mais personne n’aurait osé affirmer que tout cela était
faux. Cela était dit et répété et devait donc, incontestablement être vrai,
n’est-ce pas? Et puis… comme tout cela leur était utile en quelque sorte, aucun
adulte sensé n’aurait osé soulever la question!
Alors
les histoires à propos du ‘méchant géant’ se multipliaient au fil des ans.
Certaines d’entre elles disaient que de ses crocs acérés, il pouvait dévorer un
bras ou une jambe en une seule bouchée. Certaines racontaient, bien sûr, qu’il
capturait puis enchaînait les enfants qu’il rencontrait sur sa route. Et je
vous épargne tous les autres attributs dont on le dotait parce que la liste en
serait tout simplement beaucoup trop longue. Une seule chose demeurait
constante dans chaque histoire : Il valait certainement mieux ne pas
rencontrer cet horrible ‘méchant géant’.
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Napoléon,
âgé de 11 ans, avait été bercé par ces histoires depuis sa tendre enfance.
Plusieurs fois il avait osé poser quelques questions mais ses parents,
grands-parents ou voisins, d’un simple regard ou d’un croisement de bras sur la
poitrine l’avaient invité à se taire. Pourtant… Comme il n’avait jamais vu de
ses propres yeux le ‘méchant géant’ les questions subsistait en lui et il se
disait, maintenant qu’il était un peu plus vieux, que les adultes beurraient
peut-être un peu épais, juste pour les tenir sous leur joug. Mais bien sûr,
d’un côté comme de l’autre il n’avait aucune preuve.
**
Comme
tous les matins depuis le début des vacances d’été, Napoléon s’installa dans le
jardin de ses parents et il regarda longuement la montagne qui se dressait
devant lui.
Et si… et si j’y allais… juste
pour voir… se dit-il pour au moins la millième fois.
Et
ce matin-là, son goût pour l’aventure ou sa curiosité ou son désir de trouver
une réponse à ses questions l’invitèrent à mettre quelques trucs à grignoter
dans son sac et à prendre le chemin à peine tracé dans les herbes hautes pour
aller dans la montagne.
**
Napoléon
erra ici et là, observant un oiseau qui picorait une graine, faisant la course
avec un écureuil, cueillant quelques framboises. Au bout d’un moment, le jeune
garçon s’installa sur un haut rocher et sorti de son sac son crayon et son
carnet et se mit à griffonner dedans, ce qui retint son attention un long
moment. Quand enfin il releva le regard il vit au pied de son rocher un vieil
homme qui s’y tenait et qui semblait attendre.
-Bonjour,
dit Napoléon.
-Bonjour,
répondit le vieil homme.
-Qui
êtes-vous? demanda le jeune garçon bien naïvement.
-Je
suis… le méchant géant.
Napoléon
rit car la personne qui se tenait devant lui n’avait rien de ce que lui avait
décrit tous les adultes du village.
-Où
sont tes crocs acérés? demanda-t-il moqueur.
-Je
n’en ai pas.
Et
le vieil homme ouvrit grand la bouche pour lui montrer ses dents.
-Où
se trouve la cage dans laquelle tu enfermes les enfants?
-Je
n’en ai pas, dit le vieil homme avec un léger sourire en ouvrant tout grand les
bras et en regardant tout autour de lui.
-Où
est le chaudron dans lequel tu peux faire cuire un mouton en entier?
-Je
n’en ai pas, répondit-il en haussant les épaules.
-Alors
tu ne peux pas être le ‘méchant géant’, conclut le jeune garçon pour qui ce
fait était une évidence.
-Pourtant
je le suis. Au fil des ans, au fil des ragots et de l’imagination de chacun,
voilà ce que je suis devenu aux yeux des villageois. Tu sais, reprit-il un peu
tristement, je me faufile parfois au village, me faisant passer pour un inconnu
de passage et j’écoute alors ce que l’on dit de moi. Ce que j’y entends ne
m’incite pas à y remettre les pieds et encore moins à dire qui je suis et où je
vis. Au fil des ans, je me suis fait à mon sort.
-Mais
je ne comprends pas, s’obstina Napoléon. Et vous n’êtes même pas si grand que
ça!
Et
là le vieil homme a ri. Très fort et très longtemps. À s’en tenir le ventre, à
s’en plier en deux et même à en pleurer.
-Ouf,
dit-il quand il put reprendre son souffle. Ça faisait longtemps.
Le
‘méchant géant’ qui était en fait, ni géant ni méchant vint rejoindre Napoléon
sur son rocher et lui avoua que ce lieu était son endroit préféré de la forêt.
Napoléon sorti de son sac ce qu’il avait apporté à manger et il partagea avec
son nouvel ami.
**
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