Napoléon
tint, quelques jours plus tard, dans la cour de l’école un caucus avec ses amis
les plus loyaux et il leur raconta l’histoire (la vraie) du ‘méchant géant’ et
leur expliqua en détail ce qu’il voulait faire avec leur aide. Alors voilà que
chaque ami de Napoléon se vit décerné une mission.
Un
jour ce fut Nathan qui revint du parc en disant que le ‘méchant géant’ lui
avait relancé son ballon qui s’était retrouvé dans les hautes herbes. Un autre
jour, ce fut Madeleine qui dit avoir vu le ‘méchant géant’ en train de ramasser
les vêtements sur la corde à linge derrière la maison. Quelques jours plus
tard, ce fut Élisabeth que le ‘méchant géant’ aida à cueillir les pommes qui
étaient trop hautes pour elle dans le pommier dans le champ derrière l’école.
Et ainsi de suite. À tous les deux ou trois jours, les enfants ajoutaient un
nouvel épisode à leurs rencontres avec le ‘méchant géant’.
Les
adultes semblaient porter une oreille distraite à toutes ses histoires… mais
ils écoutaient. Et bien qu’ils y voyaient là un débordement d’imagination de
leur progéniture, cela mit le doute en eux. Cela forma… une fissure en ce
qu’ils croyaient si fortement si peu de temps auparavant. Personne ne pouvait
encore s’en douter, mais quand il y a fissure… il se crée une ouverture par
laquelle… peut germer le changement! Et voilà que leurs regards portés vers la
montagne étaient maintenant remplis de questions… qui demeuraient cependant
sans réponse.
**
Puis
décembre arriva. Napoléon, passant, à l’étape suivante de son plan, déposa une
boîte à l’entrée de la forêt avec une affiche où était écrit : pour le ‘méchant géant’. Tous les
enfants du village firent la file pour aller installer le tout en grande
cérémonie. Bien que certains adultes ne voyaient pas cela sous un très bon œil,
ils n’osèrent pas s’y opposer puisque les enfants restaient aux limites du
village et que cela ne causait aucun tort. Mais même s’ils ne disaient rien,
les adultes observaient du coin de l’œil ou caché derrière un rideau.
Chaque
jour on voyait un enfant ou deux prendre le petit sentier et déposer quelques
objets dans la boîte. Parfois un fruit ou un biscuit. Parfois un toutou ou une
couverture. Et une multitude d’autres choses. Et le matin venu tout avait
disparu. Quotidiennement, certains adultes allaient vérifier dans la boîte et
en revenaient en se grattant la tête.
C’était,
vous vous en doutez certainement, Napoléon, qui, la nuit venue, prenait avec
précaution la route de la montagne, les bras chargés de cadeaux pour son ami.
Et
puis les choses prirent un tournant étonnant. On vit apparaître dans la boîte
destinée au ‘méchant géant’ un chaudron rempli de ragoût, un livre, des
pantoufles tricotées à la main, des mouchoirs aux tissus colorés… et tout plein
d’autres choses. Et Napoléon, confiant en son plan, garda espoir.
**
Malgré
tout ce que lui racontait Napoléon, le ‘méchant géant’ refusait de descendre au
village pour rencontrer les villageois. Le jeune garçon n’insista point. Il
passa tout simplement à la prochaine étape de son projet.
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Un
matin, on trouva, sur la grande place du village, un grand carton sur lequel
était écrit : Merci pour l’oreiller
et la couverture. Un autre matin, Madame Boratin retrouva sur le seuil de
sa porte son chaudron tout propre. En soulevant le couvercle elle y trouva une
feuille sur laquelle on avait dessiné un cœur. La mère de Napoléon trouva dans
sa boîte aux lettres la recette de la soupe du ‘méchant géant’ que ne cessait
de lui réclamer son fils. Jeanne trouva un petit mot glissé sous sa porte qui
disait : Vos pantoufles me vont parfaitement. (Même si en fait elles
étaient beaucoup trop grandes pour un géant qui n’était pas géant du tout) Et
ainsi de suite.
Chaque
jour il y avait un petit quelque chose offert dans la boîte du géant et chaque
matin il y avait ici et là un mot, un cadeau de la part du ‘méchant géant’.
Et
quelque chose de plus surprenant survint alors. Toute la peur, toute la
suspicion qu’avait fait naître puis entretenu toutes ces fausses histoires sur
l’homme de la montagne se mirent à fondre malgré le froid hivernal. Certains
adultes se mirent à douter, se disant qu’après tout, ils n’avaient que répété
ce qu’ils avaient entendus. Certains autres furent touchés par les attentions
du géant qui n’avait vraiment pas l’air méchant. Certains autres se dirent que
malgré tout, même un ‘méchant géant’ devait s’ennuyer tout seul dans la forêt.
Et certains, et même plusieurs pour ne pas dire la majorité, finirent par se
dire que peut-être… peut-être que toutes ces histoires étaient fausses !
Les
regards de crainte vers la montagne se transformèrent peu à peu. On put y
percevoir de la curiosité, du repenti, et l’envie… et oui… l’envie d’aller à la
rencontre du mé… enfin… de cette
personne qui vivait depuis si longtemps, isolé de tout et de tous. Mais ce
n’était qu’une envie et personne ne s’y aventura ou n’osa être le premier à y
aller.
Alors
Napoléon ajouta une nouvelle étape à son plan et en parla à son ami. Le vieil
homme, pour une fois, comme Noël approchait, accepta de suivre toutes les
directives de son meilleur ami sans rouspéter. Et puis, parce que sûrement, en
lui aussi, les choses changeaient.
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